« Le schizophrène construit des châteaux dans les nuages. Le psychotique y vit. »
Jérôme Laurence
L'enfance était pour moi, dès la naissance, un lac aride et à la fois un immense champ de ruine. C'était un début d'existence minable, je poussais tordue. J'ai vécu les dix premières années de ma vie en étant confrontée, chaque jour, à ce qui ressemblait de près à mon visage et ce qui lui correspondait le moins. J'ai longtemps pensé que si ma tentative de vivre était un échec c'était parce que j'étais moi sans être personne. Je pouvais être qui je voulais puisque je n'étais pas vraiment quelqu'un. Je n'étais le reflet de personne, je ne me reconnaissais en rien. Alors j'ai commencé par cherche des réponses dans mon ombre, peut être que si elle avait été différente de mon image les choses auraient été plus claires. Et comme je cherchais dans l'ombre ma lumière j'ai fini par m'y perdre. Je n'étais présente pour personne alors je suis devenue amie avec moi même, je n'avais pas d'autre issue que de vivre à l'intérieur de moi puisque j'étais invisible aux yeux du monde. Alors doucement, je me suis mise à faire fleurir les idées qui bourgeonnaient dans ma tête. C'était comme un immense bouquet de fleur dont j'étais le parfum, invisible et pourtant présente. Petit à petit, sans que je ne m'en rende vraiment compte elle s'est imposé à moi comme une évidence. Je n'étais plus seule puisque je dialoguais avec ma conscience. Je l'ai rencontré un soir où j'étais à trois gramme, cette fille torride qui s'est mise à parler à ma place, à danser dans mon crâne. C'était comme se retrouver à l'étroit dans une carapace, ne plus être à sa place dans ses propres basques. Elle s'appelait Ophélie, elle était ce que j'étais de pire, de plus bâtard et de plus égoïste, de plus humain aussi. Mais elle était moins docile et donc plus vivante que moi, je crois. C'était étrange, de la savoir là, bien cachée au fond de moi, toujours prête à sortir. Et c'était agréable aussi, parce que quand elle était moi tout devenait possible, sans conséquence. Oui, pour elle nous étions le miroir cassé l'une de l'autre. Différentes parce que complémentaire. Elle disait souvent qu'il fallait être deux blessées pour se rencontrer, être deux errances, deux âmes perdues. En ça j'ai toujours été différente, mais je devrais peut être dire nous puisque contrairement à vous je ne serais jamais seule. J'ai cette autre moi, cette autre femme tapie au fond du ventre, qui somnole comme une bête en cage qui nous protège, qui nous vieille toute entière. C'est aussi pour ça que je l'aime, pour cette folie douce vers laquelle elle m'emmène. Pour cette façon de pouvoir ne jamais être la même femme. Être tour à tour libre, soumise, fiévreuse et éclatante. C'était un dons et à la fois un cancer. Elle m'a rongeait l'âme et pourtant je ne me suis jamais sentie plus vivante que lorsqu'elle était présente. J'ai compris plus tard que j'étais bipolaire, schizophrène ou grabataire, mais quelle importance puisque c'est ainsi que je me sentais vivante. J'ai préféré la démence à l'horreur l'inexistence et le froid l'indifférence. J'étais folle, mais j'étais quelqu'un. J'étais peut être même plus forte que ces gens de science qui ne ressentent pas le tourment de l'existence. A nous deux, nous possédions le sens du désordre, c'était à nous de décider le moment propice du chaos. Sans le dire nous étions ce qu'il y a de plus beau et de pire aussi, de plus incontrôlable surtout et sûrement de plus humain, nous étions la détresse face à l'existence.

J'ai écris ce texte pour un homme dont je ne connais pas le prénom.